Le cirque olympique, machine à intoxiquer les prolétaires

(«le prolétaire»; N° 473; Sept. - Octobre 2004)

 

Les Jeux Olympiques d’Athènes se sont achevés à la satisfaction assez générale des organisateurs, des grands médias, des sponsors publicitaires, des organisations capitalistes en tout genre qui tirent profit de ces grands barnums, comme des Etats qui y participent. Aucun attentat terroriste n’est venu troubler leur bel ordonnancement, aucun bâtiment ne s’est effondré sur les spectateurs, aucune grève ou incident quelconque n’a gêné la retransmission planétaire du spectacle. Sans doute les billets pour les épreuves se sont souvent mal vendus et l’afflux de touristes supplémentaires a été moindre qu’espéré, mais tout compte fait les Jeux ont joué leur rôle à la perfection, relayant les institutions bourgeoises de contrôle social de tous les pays.

10.500 sportifs de plus de 200 nations y étaient engagés dans des centaines de disciplines, encadrés par 5.500 officiels et 45.000 «volontaires» (c’est-à-dire bénévoles) contre plus de 20.000 représentants des médias dont les trois quart pour les chaînes de radio et de TV internationales pour en assurer la couverture: ce rapport indique déjà qu’il s’agissait avant tout d’un spectacle, dont l’enjeu financier est gigantesque pour les médias. Tout est étudié pour river l’attention du spectateur, jusqu’y compris les tenues sexy des sportives féminines (1)!

Les médias ont complaisamment annoncé que ces J.O. étaient placés sous le signe de la lutte contre la dopage; il y a eu 3.500 contrôles, soit près du tiers des sportifs contrôlés, et seule une petite minorité de brebis galeuses - 22 - ont été contrôlés positifs, notamment en haltérophilie (une habitude) et parmi des champions grecs. Démontrant qu’ils sont aussi incorruptibles que la Justice, les instances du CIO n’ont pas épargné le pays-hôte, dans leur noble effort d’assurer la pureté et la propreté du sport...

Ces tapageuses actions antidopage relèvent en fait de la mascarade la plus grossière (aussi illusoire que l’incorruptibilité du CIO!), non seulement parce que les chimistes des laboratoires étatiques et privés sont toujours en avance dans la recherche de «potions magiques» indétectables, mais parce que c’est toute la préparation (d’ailleurs aussi bien physique que mentale et psychologique) des concurrents qui peut s’assimiler à un dopage scientifiquement élaboré et méthodiquement organisé: il suffit de comparer sur des images d’archive le gabarit des athlètes actuels à ceux d’il y a quelques décennies à peine, pour constater les progrès des techniques de «gonflette», licites ou non.

Et d’ailleurs combien de champions sportifs meurent dans les années qui suivent leur retraite d’une activité toujours plus épuisante en raison de la multiplication des compétitions et de leur intensification du fait du nombre de records toujours plus difficiles à battre et des enjeux politiques et économiques qui y sont liés? Il y a quelques mois des scientifiques britanniques ont publié une étude selon laquelle un athlète de haut niveau aurait à 40 ans le squelette d’un humain de 70 ans...

La devise des Jeux «plus vite, plus haut, plus fort» montre parfaitement que pour les sportifs et les Etats dont ils sont les représentants, l’essentiel n’est pas de participer mais qu’il faut vaincre; dès leur naissance, les Jeux Olympiques modernes étaient parfaitement intégrés au système capitaliste basé sur la concurrence (competition en anglais). Le sport n’est pas seulement un reflet de la société, il en est aussi un produit, un agent et un symbole. Gagner des médailles et des titres: pour les sportifs cela signifie obtenir de substantiels gains financiers; pour les Etats les gains sont politiques car un nombre important de médailles est une démonstration de puissance envers les pays concurrents, comme envers leur propre peuple. De plus la focalisation médiatique sur les champions sert à alimenter auprès des jeunes prolétaires le mirage que pour s’en sortir, pour échapper à la condition prolétarienne, le sport - et plus généralement l’effort individuel - serait une ou la solution: «Just do it!» dit le slogan publicitaire d’une marque sportive, qu’on pourrait traduire par: «Tu peux y arriver!». Il suffirait de le vouloir assez fort pour arriver à grimper dans l’échelle sociale, en triomphant de ses frères de classe mais concurrents dans la compétition générale qui est la règle de vie sous le capitalisme: pour les puissantes machines de propagande bourgeoises, l’esprit de compétition est la valeur suprême qu’il faut enfoncer dans le crâne des jeunes et moins jeunes prolétaires, et la solidarité de classe, le principe à faire oublier.

Selon les discours officiels, les manifestations internationales de ce type seraient destinés à promouvoir l’amitié et la fraternité entre les peuples et les races et l’égalité démocratique entre les Etats. La cérémonie pompeuse d’ouverture a ainsi un rôle bien établi; on y montre avec attendrissement des images de sportifs de pays dont on ne parle quasiment jamais, mais qui ont droit de fouler le même sol et de recevoir (en théorie) les mêmes applaudissements que ceux des grandes nations. On a eu droit par exemple à celles d’athlètes venant de l’Iraq occupé ou de la Palestine écrasée à laquelle le Comité International Olympique, cette ONU du sport totalement corrompue par les enjeux énormes auxquels elle est liée, a accordé un semblant d’existence étatique.

La réalité est toute différente et la compétition entre nations qui se livre sur le terrain sportif met en évidence les rapports de force entre elles, et non une inexistante égalité démocratique. C’est ainsi que le classement par médailles reflète assez fidèlement la hiérarchie politique et économique des Etats (ainsi que l’effort d’investissement dans le sport de compétition à des fins de prestige et de politique interne): les plus grandes puissances se partagent le podium avec l’ogre yankee aujourd’hui talonné par la Chine, tandis que la Russie affaiblie après la disparition de l’URSS rétrograde. On peut également parfois constater la puissance impérialiste dans le fait que les juges de certains pays votent systématiquement en faveur des sportifs de l’Etat qui domine le leur...

En définitive le cirque olympique est un événement de première grandeur dans les efforts permanents des appareils de propagande bourgeois pour tenir les prolétaires du monde entier sous leur contrôle idéologique.

Ces grandes manifestations procurent en effet un dérivatif pour faire oublier un moment aux masses leur situation, comme tout spectacle de divertissement: ce n’est pas par hasard que le divertissement, cet opium moderne du peuple, est devenue une gigantesque industrie sous le capitalisme, mais bien parce qu’il répond à son besoin permanent de contrôle social, c’est-à-dire d’abrutissement des exploités! Mais en outre les Jeux Olympiques sont utilisés pour alimenter l’union nationale interclassiste, sous la forme du chauvinisme le plus débridé. Dans tous les pays, les médias font quotidiennement le battage sur «nos» chances de médailles. Chaque jour est annoncé le score national de médailles et le rang du pays; chaque gain est salué avec autant d’emphase qu’une victoire sur le champ de bataille et à l’occasion de chaque victoire, le gagnant fait son tour de stade enveloppé dans les plis du drapeau national; il faut donner l’impression au prolétaire individuel que lui aussi est engagé dans cette compétition qui rassemble toutes les classes de la nation, qu’il a quelque chose à gagner sur l’ennemi, que l’intérêt national est aussi le sien. Il sera alors d’autant plus facile ensuite de le faire adhérer à la défense de l’intérêt de l’entreprise, de l’économie nationale ou de la patrie dans la bataille économique ou la guerre.

Ce n’est qu’exceptionnellement que les médias daignent s’attarder sur la performance de sportifs étrangers - et c’est alors pour présenter à l’admiration des foules l’exploit individuel exceptionnel que le champion du moment a réalisé - passant sous silence les travaux de tout le staff (du chimiste au gourou en passant par toute la ribambelle d’entraîneurs), sans oublier les aides multiformes des institutions étatiques et privées, pour produire cet athlète.

 

* * *

 

Les terroristes: voilà le spectre qui a été agité dans les médias avant l’ouverture des Jeux, en ligne avec la campagne permanente de guerre contre le terrorisme qui dans tous les pays sert à renforcer préventivement la répression sociale et politique.

Des records ont donc été battus à Athènes au niveau de la «sécurité». Une grande armada avait été mise sur pied: 70.000 policiers, militaires, barbouzes de divers pays (dont ceux du Mossad) et membres de sécurité déployés sur terre dans la capitale et dans tout le pays, et dans l’air avec la présence continue d’un zeppelin au-dessus d’Athènes. Mais aussi sous mer avec des nageurs de combats et sur mer avec des patrouilles dans le port du Pirée et avec la présence au large de la VIe flotte de l’US Navy pour protéger notamment les navires présents dont le Queen Mary II qui hébergeait entre autres Chirac après une escapade sur le Charles-De-Gaulle. Mais cela n’est pas nouveau; et ce qui ne l’est pas non plus, c’est la collaboration qui s’établit entre les divers corps et services des différents Etats qui ont l’occasion de faire un étalage de leur pratique stratégique et tactique en matière de surveillance et de répression et de faire la promotion de leurs matériels. «Plus de répression, plus de surveillance, plus de militarisme»: telle pourrait être l’une des devises des Jeux.

Mais c’est au sujet du chantier qu’un authentique record est tombé. En effet, alors qu’Athènes avait été désignée ville organisatrice dès 1997, ce n’est qu’en 2001 que les travaux ont commencé. Il y avait donc un retard important, que les médias de tous les pays n’oubliaient pas de rappeler. Ce retard a pu être rattrapé grâce à l’intensification des cadences de travail (24 heures sur 24, les dernières semaines) et à la mobilisation d’une forte main d’œuvre immigrée, souvent clandestine, parfois régularisée le temps du chantier pour être ensuite rejetée dans la clandestinité, voire expulsée du territoire grec. Ce sont donc les prolétaires surexploités pendant ces véritables travaux d’Hercule qui ont été les vrais recordmen des J.O. afin que le spectacle des dieux et demi-dieux des stades (selon les clichés du culte bourgeois de la personnalité) puisse se tenir sans accroc.
 

Le sport c'est la guerre

 

Le sport de compétition n’a donc rien de l’activité pure et désintéressée que nous décrivent les médias, de même que les sportifs n’ont rien de l’amateur uniquement à la recherche de l’activité sportive en soi. Le sport, dans le capitalisme, c’est la guerre; c’est la continuité de la politique par d’autres moyens, c’est une arme puissante pour mobiliser les prolétaires sur le terrain du nationalisme (ou du localisme), pour les détourner donc du terrain de classe, une machine à intoxiquer les prolétaires qui doit être dénoncée et combattue pour cette raison.

Le sport tel qu’il est pratiqué, organisé et mis en scène aujourd’hui et les juteuses entreprises capitalistes de ce secteur disparaîtront demain avec le capitalisme, comme disparaîtront avec la division bourgeoise du travail, les individus dont l’activité particulière est le sport. Mais la disparition des sportifs s’accompagnera de l’accession de tous les êtres humains à une vie incomparablement plus saine et harmonieuse qu’aujourd’hui où les plaisirs de l’activité physique ne seront pas qu’une brève parenthèse pour le plus grand nombre mais seront de règle accessibles à tous.
 


 

(1) Une sportive qui n’a pas encore bien compris à quoi elle joue a vertement affirmé qu’elle porterait un short échancré pour jouer au football comme le demandait le CIO, le jour où elle verrait les dirigeants olympiques aller en string dans les tribunes officielles ou les réceptions mondaines...

(2) Ces J.O. ont été les plus chers de l’histoire, au point que se pose maintenant la question du paiement des frais de leur organisation: de l’ordre de 10,7 milliards d’euro dont 1,2 pour le dispositif de sécurité (un record encore). Comme à l’accoutumée, les profits ont été pour les capitalistes et ce seront les prolétaires qui paieront les dettes. Déjà il a été décidé que «le gouvernement ne procédera pas cette année à la traditionnelle augmentation du salaire minimum (qui est pourtant très bas, comparé aux autres pays de l’Union européenne)» cf «To Vima», cité par «Courrier International» n°721...

(3) Notons que les prisonniers en Grèce qui avaient un droit de sortie ou dont la libération tombait durant les Jeux, ont été obligés de rester derrière les barreaux. Quelques manifestations ont eu lieu - dont une le 30 juillet devant une prison d’Athènes - pour protester et pour soutenir les travailleurs immigrés embastillés dont la plupart avait œuvré auparavant sur les chantiers des Jeux et dont le seul délit était d’être sans-papiers.Note

 

 

Particommuniste international

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